Une voiture qui fonce sur des contre-manifestants antiracistes dans un rassemblement de militants pour la suprématie blanche à Charlottesville, en Caroline du Nord, montre bien à quel point les tensions raciales s’intensifient au sud de la frontière. La réaction du président Trump — qui a blâmé les deux côtés — n’a rien fait pour apaiser la situation. Les propos du président ont plutôt renforcé l’impression que les questions raciales divisent de plus en plus l’Amérique. Certaines personnes disent qu’une telle chose ne pourrait jamais se produire au Canada. Or, il ne suffit pas de le dire ou de le penser pour qu’il en soit vraiment ainsi.
Les retombées à plus long terme de la réaction du président cadrent davantage avec la réaction mesurée à laquelle on peut s’attendre après un incident qui a pris la vie d’une personne et blessé dix-neuf autres. Il a fallu attendre plusieurs jours, mais le président a fini par condamner la coalition de suprémacistes blancs dont la « manifestation » est à l’origine de cette attaque. Le controversé Steve Bannon, chantre de la droite alternative, dont la présence dans l’équipe de la campagne de Donald Trump et le rôle de conseiller sont jugés avoir joué un rôle fondamental dans l’obtention d’appuis racistes, vient de quitter la Maison-Blanche. Toutefois, Steve Bannon s’est remis sans attendre à fomenter la discorde pour le compte de M. Trump par le biais de son site Breitbart News et il affirme avoir l’intention de rétablir la présidence Trump qu’ont perdue ses disciples — qui comprennent de nombreux suprémacistes blancs.
Au Canada, la droite alternative a son propre site de nouvelles en ligne, Rebel Media, qui est dirigé par Ezra Levant, une ancienne personnalité de Sun TV. Une journaliste de Rebel Media envoyée à Charlottesville pour couvrir le rassemblement semblait se moquer des contre-manifestants avant qu’un homme fonce dans la foule avec sa voiture. Cette attitude, conjuguée au fait que Rebel Media a l’habitude d’interpréter les nouvelles de manière à inciter la division entre les races et les religions, lui a coûté très cher. Des commanditaires lui ont retiré leurs publicités, des politiciens qui avaient de bonnes relations avec le site refusent à présent de lui accorder des entrevues, des journalistes indépendants s’en sont distanciés publiquement et l’un des fondateurs, Brian Lily, une personnalité de la radio, a quitté le navire. Ces réactions négatives sonnent‑elles le glas du site? Nous ne le savons pas, mais bien des articles d’opinion ont prédit une telle issue dans la dernière semaine.
Cela dit, le message véhiculé par Rebel Media trouve écho et c’est là que nous devons nous montrer très prudents quant à notre perception du Canada. Bien des Canadiens ne savent pas qu’il existe une centaine de groupes de suprémacistes blancs au Canada. Nous sommes portés à conclure trop vite que parce qu’il n’existe pas au Canada de problème racial de l’ampleur de celui qu’on voit aux États‑Unis, il n’y en a pas du tout. Les faits disent autre chose et l’illusion est facilement dissipée — ce qui est absolument nécessaire si nous voulons nous assurer que le Canada corresponde à l’image que bien des gens s’en font déjà.
Prenons le phénomène du fichage à Toronto. Il peut sembler difficile à croire que, ici au Canada, on interpelle les gens et on leur demande de produire une pièce d’identité pour la simple raison qu’ils se trouvent dans un lieu public; c’est pourtant bien la réalité à laquelle font face les hommes noirs dans la plus grande ville du pays. Le Canada n’est pas exempt d’attaques contre les minorités religieuses non plus, des attaques qui peuvent cibler tant des synagogues et des mosquées que des personnes. L’hiver dernier, un tireur a tué six personnes dans une mosquée de Québec. Nous ne pouvons pas simplement tirer le rideau sur ces choses et considérer que notre situation est bien meilleure que celle de nos voisins américains. Nous devons constamment nous assurer que la réalité concorde bien avec l’opinion que nous nous faisons de notre pays si nous voulons éviter tout dérapage.
L’aspect le plus démoralisant des événements de Charlottesville est peut‑être la réaction du président. La condamnation immédiate et massive et la consternation par rapport à l’attitude de l’administration avec lesquelles cette réaction a été accueillie sont par contre encourageantes. Il faut s’assurer que les opinions modérées conservent une grande place si nous voulons éviter que la haine et la peur viennent effacer les progrès réalisés. Cela s’applique tout aussi bien au Canada qu’aux États‑Unis.
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